arrosoir-axiomatisé

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De l'ombre pour les cons

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C'est un soir d'octobre, après une bière et une cigarette magique, que mon amie C. A. et moi-même commençâmes à admirer la magnifique cathédrale de Tours, éclairée la nuit par des projecteurs. Ou plutôt, nous admirions les magnifiques projecteurs qui éclairent la nuit la cathédrale de Tours. Intriguées par l'éclairage plus intense d'un côté et moins de l'autre, puis par la légère différence dans les couleurs de la lumière qui éclairait les deux parties de l'église ce soir là, nous aurions pu passer des heures à les regarder sans nous ennuyer.

 

La cathédrale était belle. Elle était incroyablement haute, d'un style gothique, et dotée de grandes portes très impressionnantes qui auraient pu nous donner envie d'y pénétrer si nous n'étions pas assez diverties par le simple fait de la regarder. Elle était belle et sans doute chargée d'histoire. Seulement, dans notre état d'esprit ce soir là, elle nous semblait figée dans le passé.

Les projecteurs de la cathédrale sont ordinaires. Ils ne sont ni beaux, ni laids, et rien sur eux ne donne envie de découvrir ce qu'ils cachent derrière leurs lumières qui ne les éclairent pas. L'un est rouge, l'autre jaune et tout deux se dirigent, corps mais surtout âmes, vers la cathédrale. Si l'on ne s'y attardait pas, on croirait qu'ils n'existent pas vraiment par eux-mêmes, mais seulement par la merveille qu'ils éclairent. Foutaises ! Ils existent, bien sûr, ils existent intensément. Ils existent, d'ailleurs, bien plus intensément que n'existait la cathédrale.

 

«Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.», disait Lavoisier.

Ainsi, nous pourrions croire que l'Homme a crée la cathédrale, a crée les projecteurs. En réalité, il a eu l'idée de cette cathédrale et ses projecteurs, et l'a transformée, à l'aide de ses mains et d'autres matériaux, en un bâtiment, visible de tous car réel. Ce constat nous amène aisément à rapporter nos observations sur l'église et la lumière à quelques Hommes.

 

J'avoue, avec cette transition faramineuse, j'ai tenté d'expliquer un truc inexplicable parce que sorti de la tête de deux filles sous montées d'acide. En attendant, nous y voilà, le passage des projecteurs et la cathédrale au comportement humain.

 

Les couples qui défilaient devant nous pour s'embrasser devant l'église ne regardaient qu'elle. C'est elle qui est éclairée, donc sans doute à elle qu'il faut s'intéresser. Ils regardaient la lumière sans savoir d'où elle venait.

Si nous nous étions arrêtées à une cigarette non-magique, ou peut-être simplement si ne nous intéressions pas à la philosophie, nous aurions été comme eux. En passant une soirée devant la cathédrale, nous n'aurions regardé que la cathédrale et n'aurions pas cherché à savoir d'où venait la lumière ni comment fonctionnaient les projecteurs qui l'émettaient.

 

La société (nous avec, bien sûr, avec nos deux pieds dans le système), elle aussi, cherche le beau, le connu, le précieux, le soit-disant rare qui ne l'est en fait pas du tout. Elle cherche les stars, le populaire, ce qui intéresse, et non ce qui est intéressé.

La substance qui nous entraînait ce soir-là nous amenait à chercher, observer, analyser intensément ce qui donnait la lumière. Elle nous amenait à nous intéresser à tout, et non seulement à l'église que nous connaissions déjà.

 

Friande d'image que je suis, voici celle de cette soirée. La cathédrale représente ici l'intérêt public. Les stars, toutes les personnes célèbres, à différentes échelles : de la fille populaire du lycée à Shakira. Les projecteurs, eux, représentent la foule, la société, ici aussi à différentes échelle : des fans d'un groupe de musique aux suiveuses de la star du lycée.

Notre instinct et l'effet de groupe nous propose d'admirer et d'éclairer le beau pour le rendre encore plus beau. Le cannabis, la philosophie ou la sociologie nous propose une autre vision de la vie. Ils nous proposent de nous rendre extérieur au tableau et d'observer avec attention ce qui rend le beau, beau et le célèbre, célèbre.

 

La cathédrale, de nuit, sans ses projecteurs, on ne la verrait pas. Les projecteurs, bien plus puissant, auraient pu éclairer le musée d'à côté ou la tour Eiffel. Alors, le beau se serait déplacé. On ne s'intéresserait plus à la cathédrale, mais au musée des Beaux Arts. Quel beau bâtiment, dirait-on, le plus beau de la ville, sans doute, et les couples viendraient s'embrasser devant.

 

N'oubliez pas que la lumière que vous émettez vous fait de l'ombre pour les cons. Ne soyez pas cons, éclairez ce qui ne l'est pas encore et vous serez éclairés par deux filles qui passeront une soirée à vous admirer. Ou bien pensez au Petit Prince, l'allumeur de réverbère n'éclaire rien, mais ça le rend encore plus beau. S'il éclairait quelque chose, on l'oublierait. Je ne vous dit pas de ne vous intéresser qu'à vous même, mais de vous intéresser à ce que l'intérêt public oublie. C'est une façon de partager équitablement la lumière.

 

C. A. et M. D.



12/02/2016
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