arrosoir-axiomatisé

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Eloge de la rationalité

Un soir, en voiture avec ma famille, mon père nous a parlé de l'un de ses collègues de la Sorbonne qui avait opté pour une philosophie de vie intéressante. Le soir, lorsqu'il a des copies à corriger, il se dit : "Si je meurs demain, la correction de ces copies, donc le renoncement à d'autres activités plus agréables, aura été un sacrifice inutile.". J'aimerai rendre compte de la complexité de cette phrase.

 

C'est un choix égoïste.

Si cet homme décide de ne pas corriger ses copies, il aura fait effectué ce qu'il souhaitait pour la dernière journée de sa vie, le cas échéant. Laura (Laura n'existe pas, c'est moi qui l'ai inventée), étudiante de Monsieur, aurait probablement souhaité, pendant la dernière journée de sa vie, connaître la note qu'il lui attribuerait pour ce TD qui lui avait demandé des sacrifices auparavant, qui, sans note, se révèleraient être des sacrifices inutiles... vous comprenez le raisonnement. Ainsi, son professeur empêche Laura de passer une dernière journée satisfaisante : dans sa conception de la dernière journée idéale, il choisit de privilégier son bonheur à celui des autres. Or, on peut considérer, puisqu'il souhaite faire de chaque journée de sa vie une dernière journée satisfaisante, cela correspond à une journée idéale en général, une forme de définition du bonheur. Dans sa définition du bonheur, le professeur ne comprend pas l'attention aux autres ; bon, en caricaturant un peu, j'avoue. L'idée est que cela fait de notre ami un homme à tendance plutôt égoïste.

 

Nous sommes tous un peu le collègue de mon papa.

Si vous avez lu les autres articles que j'ai écrit, vous avez peut-être compris que je suis convaincue que l'Homme est par nature plus tourné vers son plaisir que le bonheur des autres (les mots "plaisir" et "bonheur" sont choisis, je m'expliquerai peut-être dans un autre article). Que celui qui n'est pas humain jette la première pierre au collègue de mon papa !

 

Steve Jobs était un égoïste.

Çe qui n'arrange rien à l'affaire quand on est déjà un PDG qui exploite des enfants en faisant croire à son pays qu'il contribue à son essor, mais c'est un autre sujet. Il en a fait sa définition du bonheur. Il se demandait chaque jour si, dans le cas ou il mourrait le lendemain, il ferait ce qu'il s'apprête à faire. S'il répondait trop souvent "non" à cette question, cela signifiait que quelque chose n'allait pas dans sa vie ; qu'il n'était pas heureux. Alors, dans sa conception de la dernière journée idéale, Steve Jobs n'inclue pas de relocaliser son entreprise ou de verser à ses ouvriers un salaire un chouya plus juste, ce qui aurait contribué à leur bonheur (et même un peu au mien !).

 

Je suis en révision.

J'ai des concours à préparer. Je me lève tôt le matin et je fais une pause café-clope à 10h45. J'ai l'impression d'être déjà une jeune cadre dynamique qui fait un boulot chiant et qui fera un boulot chiant toute sa vie. Heureusement, ce n'est pas mon cas. Et, si, il y a bien un lien entre le fait que je sois en révision et ce que je vous racontais tout à l'heure.

 

Et si je mourrais dans dix ans ?

Si on m'annonçait aujourd'hui que, dans 10 ans jour pour jour, j'allais mourir, je ferai tout mon possible pour avoir effectué, dans les dix prochaines années, tout ce que je voulais accomplir dans ma vie et pour passer une dernière journée heureuse. L'une des choses que j'aimerais faire dans ma vie, c'est aller en Alaska. Pour aller en Alaska, il faut avoir un billet d'avion, et pour avoir un billet d'avion, il faut de l'argent. Alors, pour, dans les dix prochaines années, aller en Alaska, je dois, aujourd'hui, faire quelques sacrifices et travailler.

 

La probabilité que Monsieur meure demain est de 0,000004.

Admettons que notre ami professeur ait environ 40 ans. Admettons également qu'il se lave les dents 2 fois par jour pour une durée de 43 à 57 secondes, comme le Français moyen. Il a une espérance de vie de 78,9 ans. Sur l'année 2006 (on est en 2017 vous dites ?), 0,15% des personnes de 40 ans sont décédées. Ainsi, 99,85% des Hommes de 40 ans de 2006 ont fêté, en 2007, leurs 41 ans ! N'est-ce pas formidable ? Demain n'est qu'un jour dans cette quarante-et-unième année, on divise donc 0,0015 (la probabilité, c'est à dire sur 1) par 365, ce qui donne une probabilité de 0,000004. De plus, 1,91% des Hommes nés en 1907 étaient en vie en 2006, ce qui donne une probabilité pour Monsieur de vivre jusqu'à 99 ans de 0,0191, qui ne vous paraît sans doute pas très impressionnante mais qui est en fait 4775 fois supérieure à la probabilité qu'il meure demain (0,000004).

 

Ce n'est pas un choix rationnel.

Notre cher ami choisit donc de privilégier le bon déroulé d'un événement qui a près de zéro chance d'arriver, plutôt que de préparer la fête de ses 99 ans, qui a 4775 fois plus de chances d'arriver. Il se met alors dans de très mauvaises conditions pour cette fête d'anniversaire. De fait, si Monsieur ne corrige ses copies ni aujourd'hui, ni demain, ni dans les semaines qui suivent, les étudiants vont se plaindre, on renverra le collègue de Papa, qui se fera ensuite larguer et vivra dans la rue jusqu'à ses 99 ans, qu'il fêtera seul. Faites des choix rationnels ! "Ce qui est rationnel est effectif, et ce qui est effectif est rationnel.", a dit Hegel. C'est la raison pour laquelle j'ai fait, avant-hier, hier et aujourd'hui, et je ferai encore demain, après-demain et le jour suivant, des sacrifices qui me rendront heureuse le 30 mars, jour de mes résultats, puisque les chances que je vive jusqu'ici sont proches de 100%.

 

Une conclusion fort originale.

Travailler, c'est bien.

 

J'y retourne, du coup.

 

M. D.



13/02/2017
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